Programme 1983

    DU 11 JAN. AU 22 JAN. 2023

    DU LUNDI AU VENDREDI À 20H, SAMEDI À 18H, DIMANCHE À 15H30
    RELÂCHE LE MARDI
    DURÉE : 2h35 – Salle Delphine Seyrig


    TEXTE Alice Carré
    CONCEPTION Alice Carré et Margaux Eskenazi
    MISE EN SCÈNE Margaux Eskenazi

    AVEC Armelle Abibou, Loup Balthazar, Salif Cisse, Anissa Kaki, Malek Lamraoui, Yannick Morzelle, Raphaël Naasz, Éva Rami
    SCÉNOGRAPHIE Julie Boillot-Savarin
    LUMIÈRE Mariam Rency
    VIDÉO Quentin Vigier ACCOMPAGNÉ DE William Leveugle, Léo Rossi-Roth, ET Raphaël Naasz
    SON Antoine Prost
    COSTUMES Sarah Lazaro
    ASSISTANAT À LA MISE EN SCÈNE Chloé Bonifay
    RÉGIE GÉNÉRALE ET SON  William Leveugle
    RÉGIE PLATEAU Thomas Mousseau-Fernandez
    ASSISTANAT AUX COSTUMES Mélody Cheyrou
    RÉGIE GÉNÉRALE ET SON William Leveugle
    RÉGIE PLATEAU 
    Thomas Mousseau-Fernandez
    RÉALISATION DES COSTUMES Ateliers du Théâtre National Populaire
    CONSTRUCTION DU DÉCOR Ateliers de César Chaussignand et Quentin Charnay


    Entretien avec Alice Carré et Margaux Eskenazi

    Quelle est la genèse de 1983 ?
    Margaux Eskenazi
    : C’est le troisième volet d’un triptyque consacré à la question des identités françaises et aux amnésies coloniales. Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre était une traversée de la négritude à la créolité, principalement à partir d’Aimé Césaire. Et le cœur fume encore plonge dans les mémoires de la guerre d’Algérie dans la France d’aujourd’hui. Ce dernier volet prend comme point de départ la marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983
    Alice Carré : Dans les trois spectacles, à travers le détour par l’histoire et le passé, nous tentons de saisir des ruptures qui expliquent la situation contemporaine. Ici, vingt ans après les accords d’Évian, il s’agissait de comprendre la démarche politique de cette deuxième génération d’immigrés qui tenta de rencontrer la gauche alors au pouvoir, en vain.
    M.E. :La création de ce troisième volet devant se faire au TNP à Villeurbanne sur une proposition de Jean Bellorini, il fallait penser un projet en lien avec ce territoire. Or la marche pour l’égalité et contre le racisme était partie des affrontements dans les Minguettes à Vénissieux, tout près de Villeurbanne. Par ailleurs, le groupe de musique Carte de séjour, très impliqué dans la lutte, vient de Rillieux-la-Pape, dans la métropole de Lyon. Nous avons aussi découvert que les affrontements aux Minguettes rejouaient symboliquement les affrontements de la guerre d’Algérie, avec d’un côté des enfants de militants FLN ou de harkis et de l’autre, dans les forces de l’ordre, des pieds-noirs ou des enfants de pieds-noirs. Tout cela constituait donc un premier fil que l’on pouvait tirer. 
    Alice Carré :Au-delà de ce fort ancrage territorial, peu à peu le sujet s’est élargi au niveau national car ce qui s’était passé dans les banlieues de Lyon, était aussi advenu dans d’autres banlieues françaises. Il s’est étendu aussi d’un point de vue historique : la marche s’inscrit dans un mouvement militant qui se déploie pendant toutes les années 1970, à travers des radios pirate, des occupations de tribunaux pour lutter contre l’impunité des crimes racistes, ou encore des occupations de journaux comme Le Progrès à Lyon, pour les pousser à médiatiser ces violences racistes. Enfin nous avons voulu relier cette lutte avec les événements politiques de l’époque : le tournant de la rigueur opéré par Mitterrand et la première victoire du Front national à Dreux lors des élections municipales. 

    Quel a été votre processus de recherche pour l’écriture ?
    A.C.
    : Margaux et moi avons mené une quarantaine d’interviews avec des militants anti-racistes de l’époque et d’aujourd’hui, en région Rhône-Alpes, en région parisienne et à Marseille. Nous avons rencontré des historiens, des sociologues, des économistes et des acteurs artistiques comme les musiciens de Carte de séjour. Nous nous sommes beaucoup documentées. Après quoi, nous avons a défini une chronologie avec des événements qui nous semblaient importants. À partir de là, j’ai fait un travail d’écriture et de mise en fiction, en lien avec Margaux et la pensée de la mise en scène. 
    M.E. : Au fil des allers et retours, Alice écoutait mes envies et me faisait des propositions pour lesquelles je devais trouver des solutions scéniques. J’aime les spectacles rhizomiques où les racines sont comme des lianes qui s’entremêlent, avec un grand nombre de personnages qui se croisent.

    Quels ont été les défis de ce processus ample et ambitieux ?
    A.C.
    : Absorber toute cette matière, trouver les personnages qui amènent à telle situation, intégrer tel ou tel élément relevé dans les discussions tout en gardant une ligne narrative intelligible, a été un sacré casse-tête. L’enjeu était de ne pas se laisser engloutir par l’informatif, de ne pas tomber dans le didactisme et d’être accessible à un public allant des lycéens jusqu’à des adultes très avertis.
    M.E :. Il a fallu du temps pour réussir à définir clairement la problématique du spectacle. Ensuite s’est posée la question de l’émotionnel et de l’intime. La guerre d’Algérie était un sujet immédiatement émotionnel. Ici, les acteurs ont dû se défaire du poids de l’histoire et chercher comment la lutte et l’engagement, parfois à travers des mots et des arguments politiques assez pointus, peuvent toucher des affects. 

    Quelle est la place de la musique dans le spectacle ?
    M.E. : Elle est importante comme celle du son en général qui contribue au tuilage entre les scènes. Le son fait le lien entre les différents espaces qui cohabitent dans la scénographie que Julie Boillot-Savarin a pensée comme une boîte à jeu où l’on peut naviguer de façon très fluide.
    A.C. : Les chansons du groupe Carte de séjour constituent une forme de sublimation poétique et musicale de ces questions de militantisme. À l’époque, il existe tout un courant politique qui passe par le rock. Ces jeunes, qui organisent des concerts meetings dans les quartiers, n’écoutent pas le raï de leurs parents mais du rock et du reggae. Pendant la marche, une radio diffusait du Bob Marley en continu.

    Vous êtes nées après 1983. Comment regarder-vous cette époque ?
    M.E. : D’un spectacle à l’autre, notre projet consiste à écrire des récits pour rendre visibles les invisibilités. Quand on regarde l’année 1983 avec ce prisme, ce n’est pas la folie des années 1980, les paillettes ou Starmania que l’on voit, mais les crimes racistes et l’impunité policière. Par ailleurs, j’ai été élevée dans le mythe de Mitterrand. Mes parents me racontaient le 10 mai 1981 comme l’un des plus beaux jours de leur vie. De ce fait, au début du travail, j’ai eu du mal à plonger dans le virage libéral de la gauche, à admettre l’abandon des quartiers populaires, l’intérêt de Mitterrand à voir monter le Front national pour diviser la droite, ou l’instrumentalisation de SOS racisme par le Parti socialiste ! Ce spectacle est donc aussi une façon de revenir sur un héritage familial. Mais il n’est ni historicisant ni nostalgique. Notre approche est vraiment intersectionnelle : lutte anti-raciste, lutte des classes et pensée féministe sont inséparables. La pensée située, le fait de savoir de quel point de vue on parle, est quelque chose que j’ai appris grâce à mes lectures féministes. Cela se traduit par une réflexion commune permanente sur le protocole de travail. L’équipe entière est très impliquée dans la recherche. Enfin les personnages féminins sont très forts parce que nous avons rencontré des militantes très puissantes et que nous avons voulu rendre compte de leur action. 
    A.C. : Ce sont des femmes qui tiennent les rênes des luttes anti-racistes dans ces quartiers. Cela contredit le cliché que l’on peut avoir sur les filles de Maghrébins. Elles portent les manifestations et sont en tête pour envahir les tribunaux. Dans le spectacle, il y a beaucoup d’univers très masculins, parce que le milieu ouvrier de l’époque, notamment dans l’industrie automobile, est masculin, mais des femmes jouent des rôles d’hommes. Et c’est là aussi que la distribution est signifiante. 

    Propos recueillis par Olivia Burton, décembre 2022


    Alice Carré

    Autrice et metteuse en scène, elle se forme d’abord en master d’études théâtrales à l’ENS de Lyon, puis réalise un doctorat en arts du spectacle dédié à la scénographie contemporaine et aux espaces vides (Université Paris Nanterre). Elle a enseigné le théâtre à l’Université de Nanterre, de Poitiers, à Paris 3 – Sorbonne Nouvelle et à l’École de la Comédie de Saint-Étienne.
    D’abord dramaturge, elle a accompagné différents artistes comme Élise Chatauret, Elsa Decaudin et le collectif PulX. Elle écrit ou accompagne la création de plusieurs pièces sur l’histoire des deux Congo avec Malick Gaye et Christian Bena Toko, Sthyk Balossa, Christian Mualu, Ulrich N’Toyo et Carine Piazzi, la compagnie La Louve aimantée. Elle collabore avec Aurélia Ivan, pour la création de Aujourd’hui, spectacle sur l’exclusion de la vie publique des populations dites « Rom ».
    En 2016, elle ouvre un travail de recherche au long cours autour des amnésies coloniales françaises en s’intéressant aux combattants africains ayant combattu aux côtés de la France en 1939-1945, qui donne lieu à l’écriture de Brazza–Ouidah–Saint-Denis, qu’elle met en scène en 2021 avec sa compagnie, Eia !. Le spectacle est representé au Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national en mai 2022.
    Elle explore ces thématiques aux côtés de Margaux Eskenazi et de la Compagnie Nova, avec laquelle elle travaille depuis 2016, avec la conception, le montage et la co-écriture de Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre, et de Et le cœur fume encore, consacré aux mémoires de la guerre d’Algérie.
    Elle travaille aux côtés d’Olivier Coulon-Jablonka pour La Trêve, pièce d’actualité n°15, au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers – CDN, co-créée avec Sima Khatami. Il lui commande l’écriture de Kap o’ mond, co-écrite avec le chercheur haïtien Carlo Handy Charles, créée en 2022.

    Margaux Eskenazi

    Diplômée d’un Master 2 recherche en études théâtrales à Paris 3 – Sorbonne Nouvelle et de la section mise en scène du CNSAD en 2014, elle a travaillé trois ans au Théâtre du Rond-Point au comité de lecture. Elle a très vite développé une activité de collaboratrice artistique avec Éric Didry, Nicolas Bouchaud, Jean-Claude Grumberg, Vincent Goethals, Xavier Gallais, Cécile Backès, le Birgit Ensemble et Clément Poirée.  Depuis 2019, elle conçoit également des dramaturgies de films documentaires pour France Ô.
    Son activité de metteuse en scène débute en 2007, année où elle fonde la Compagnie Nova. Elle a monté Quartett d’Heiner Müller, Hernani de Victor Hugo et Richard III d’après William Shakespeare. Depuis 2016, elle développe un triptyque « Écrire en pays dominé » consacré aux amnésies coloniales et aux poétiques de la décolonisation : Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre, Et le cœur fume encore, 1983. Ces spectacles sont co-écrits avec Alice Carré. Pour chaque spectacle de ce triptyque, des formes en itinérance en lien avec les formes en salle sont créées : Césaire-Variations, Kateb-Variations et Après Babel.
    Au printemps 2021, Margaux Eskenazi crée Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ?, à partir de la conférence de Gilles Deleuze, Qu’est-ce que l’acte de création ?.
    Son travail est fortement implanté en Seine-Saint-Denis où elle met en place depuis 2007 de nombreuses actions sur le territoire en lien avec ses créations (interventions en maison d’arrêt, en milieu scolaire, en centre sociaux). Elle intervient également dans les écoles supérieures d’art dramatique (École de la Comédie de Saint-Étienne, Esad à Paris, École du Nord à Lille).
    Elle prépare sa prochaine création prévue pour janvier 2024, Vénus. Elle est artiste associée aux Gémeaux – scène nationale de Sceaux, au théâtre de la Cité Internationale, au Théâtre du Fil de l’Eau de Pantin et artiste invitée au TNP pour 1983.


    Autour du spectacle

    DIMANCHE 15 janvier

    → Rencontre avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation modérée par Danièle Lochak, professeure de droit public à l’Université Paris Nanterre. 
    En partenariat avec le CREDOF.

    DIMANCHE 22 JANVIER

    → Représentation en audiodescription par Audrey Laforce.

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