PROGRAMME DE SALLE

    Libre arbitre

    CONCEPTION ET ÉCRITURE Julie Bertin, Léa Girardet

    MISE EN SCÈNE Julie Bertin

    AVEC Léa Girardet, Cléa Laizé, Juliette Speck et Julie Teuf
    COLLABORATION ARTISTIQUE Gaia Singer
    CHORÉGRAPHIE Julien Gallée-Ferré
    SCÉNOGRAPHIE ET VIDÉO Pierre Nouvel
    LUMIÈRE Pascal Noël SON Lucas Lelièvre
    COSTUMES Floriane Gaudin
    RÉGIE GÉNÉRALE ET LUMIÈRE Thomas Jacquemart EN ALTERNANCE AVEC Léo Delorme
    RÉGIE SON ET VIDÉO Théo Lavirotte EN ALTERNANCE AVEC Thomas Lanza et Nicolas Lemoine

    Production Compagnie Le Grand Chelem et ACMÉ.
    Coproduction Le Quartz – scène nationale de Brest ; Le Safran – scène conventionnée d’Amiens Métropole ; Réseau La Vie Devant Soi : Théâtre de Chevilly-Larue, Théâtre Antoine Vitez – scène d’Ivry, Théâtre de Châtillon, Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine, Pivo – Théâtre en territoire / scène conventionnée, Théâtre Dunois, L’entre deux – scène de Lésigny.

    Accueil en résidence Théâtre de Chevilly-Larue ; Théâtre 13, Paris ; CENTQUATRE-PARIS ; la Ville de Pantin (Salle Jacques Brel) ; Théâtre de Châtillon ; Le Safran – scène conventionnée d’Amiens Métropole.
    Avec le soutien du ministère de la Culture (DRAC Île-de-France) ; de la Fondation Alice Milliat ; du fonds d’insertion de l’École du TNB.
    Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National. Projet lauréat du Réseau La Vie Devant Soi 2020.
    Remerciements à Anaïs Bohuon, Anne Schmitt, Claire Bouvattier, Laurence Brunet, H

    Entretien avec Julie Bertin et Léa Girardet

    Quels débats l’affaire Caster Semenya a-t-elle soulevés ?
    Julie Bertin : L’affaire commence sur un doute visuel. Caster Semenya court pour la première fois dans la catégorie adulte en 2009 au championnat du monde d’athlétisme de Berlin. Elle est donc sous le feu des projecteurs et sa physionomie interroge. La Fédération internationale d’athlétisme demande alors des examens de vérification de genre, autre nom donné aux tests de féminité. Cet organisme privé, qui chapeaute toutes les fédérations nationales, édicte ses propres règlements. C’est elle qui décide de qui peut courir ou pas. Les tests révèlent que Caster Semenya est une personne intersexe. Pour la Fédération, elle n’est ni homme ni femme et cela remet en question le principe de bicatégorisation du sport, un principe aujourd’hui remis en cause par une partie du monde médical qui explique qu’il faut penser les sexes comme un spectre large et varié, avec aux deux extrêmes, le pôle femelle et le pôle mâle. 
    D’autre part, la Fédération considère que le taux de testostérone a une influence directe sur les capacités des athlètes. Là encore beaucoup de médecins remettent en question ce lien de causalité : la performance des hommes est peut-être liée à leur taux de testostérone mais elle est aussi le produit du niveau d’entraînement et des infrastructures qui leur sont offertes, nettement supérieur à celui dont peuvent bénéficier les femmes qui doivent souvent travailler à côté. Quoiqu’il en soit, la Fédération décrète que Caster Semenenya, ayant un taux de testostérone supérieur au seuil admis chez les femmes, doit prendre un traitement hormonal pour le faire baisser. Il s’agit selon eux de protéger les autres athlètes, « normalement » constituées, de toute discrimination. Or c’est la Fédération qui fixe ce seuil. Par ailleurs, il existe parfois un écart de testostérone bien plus grand entre deux hommes que celui existant entre Caster et les autres femmes mais cela n’est pas considéré comme une injustice. On ne vérifie jamais les taux de testostérone des hommes. 
    Léa Girardet : La question soulevée ici est celle de la légitimité des athlètes féminines performantes. Une femme puissante est d’emblée considérée comme suspecte aux yeux de la Fédération. Dans le cas de Caster Semenya, il s’agit de restreindre ses capacités en lui imposant de prendre un traitement hormonal. 
    JB : Les coureuses ont intégré cette suspicion qui plane sur leurs corps musclés. Plus ça va et plus elles courent maquillées, manucurées, avec des bijoux, habillées de brassières et de culottes échancrées. À chaque course, elles doivent prouver qu’elles sont certes performantes mais qu’elles restent de « vraies » femmes. Or Caster Semenenya a toujours refusé de jouer ce jeu de la féminité. Et cela trouble notre regard.
    LG : Récemment, aux États-Unis, des handballeuses ont refusé de porter une tenue qui ressemblait à des bikinis et ont été exclues. Beaucoup de sportives commencent à se plaindre de ces contraintes vestimentaires inscrites dans les règlements. Comme Serena Williams qui a refusé de mettre une jupe à Wimbledon et qui a été réprimandée. Derrière cela, il y a tout le jeu des sponsors, de ce qui va être intéressant à la télé… 

    Quelles ont été vos sources ?
    JB : Nous avons mené de nombreux entretiens avec des sportives, des chercheuses et des médecins. La rencontre avec Anaïs Bohuon, socio-historienne du sport, a été déterminante. Elle nous a orientées vers les archives du procès que Caster Semenenya a décidé d’intenter contre la Fédération internationale de sport en 2019 devant le Tribunal Arbitral du Sport. On y trouve les prises de paroles des différents experts de la Fédération, y compris du directeur du département science et santé qui a avoué, au cours du procès, que les chiffres avaient été falsifiés et que le taux de testostérone avait été baissé de telle sorte que Caster Semenya ne puisse plus courir. Malgré ces révélations, le tribunal donna raison à la Fédération sous prétexte de protéger les autres coureuses. Le TAS n’est pas constitué de magistrats mais de juges arbitres, des hommes à 95%, venant des pays du Nord. On peut facilement imaginer que leurs prises de position sont biaisées. C’est pourquoi Caster Semenya a saisi la Cour européenne des droits de l’Homme en espérant cette fois un procès plus impartial.
    LG : Le Collectif Intersexe Activiste nous a également accompagnées dans nos recherches. Porter le sujet de l’intersexuation sur un plateau de théâtre est politique. Comme Caster Semenya, la parole des personnes intersexes est stigmatisée ou invisibilisée. Le Collectif se bat pour la préservation des droits fondamentaux des personnes intersexes comme le respect de l’intégrité de leur corps. Ce combat est notamment mené vis-à-vis de la communauté médicale qui, dans sa grande majorité, continue de pratiquer des chirurgies dites de « normalisation » sur les enfants intersexes. Tout écart de la norme est perçu par ces médecins comme une pathologie.

    Comment le texte s’est-il fabriqué ?
    LG : Après un premier temps d’écriture avec Julie concentré sur la structure d’ensemble et les scènes qui concernaient l’intimité de Caster Semenya, nous sommes passées à une écriture de plateau avec les comédiennes, notamment pour les scènes qui se déroulent au sein de la Fédération.
    JB : Cette affaire soulève de nombreuses questions et il n’est pas si facile de se positionner. Il s’agissait de faire entendre tous les arguments, notamment les réflexions de ces experts qui sont parfois celles qu’on a pu avoir au début de nos recherches et celles de nombreux spectateurs qui entrent dans la salle. 

    Sur quels codes de jeu avez-vous travaillé ?
    JB : Il y en a plusieurs. Pour ce qui de la mise en jeu de la parole des experts, nous avons choisi un registre décalé et humoristique. Des comédiennes jouent des hommes qui décident du sort du corps des femmes. C’est dans cette distance qu’apparaît notre point de vue à toutes les cinq. Nous ne voulions pas d’emblée décrédibiliser tous ces hommes mais en même temps ces scènes devaient être comiques. Si leurs propos peuvent sembler un peu caricaturaux, ils correspondent pourtant bien souvent à ce qu’ils ont réellement dit. 
    LG : Le spectacle joue sur un registre beaucoup plus intime quand Caster Semenya prend la parole et se livre directement au spectateur ; ou encore faussement naturaliste, dans les scènes médicales notamment. Ces différents modes reflètent la diversité des points de vue sur cette histoire complexe.

    Y-a-il une dimension raciste dans cette affaire ? 
    JB : Les tests de féminité ont toujours été pratiqués sur des athlètes venant des pays du Sud. Une noire américaine sera beaucoup moins inquiétée qu’une Sud-africaine. Les médecins des pays du Nord se défient de ceux du Sud et envoient leurs spécialistes effectuer des vérifications de genre pour décider ensuite s’il faut procéder à des opérations de normalisation : ablation du clitoris s’il est jugé trop grand ou des testicules internes quand ces femmes-là en ont. Ce sont des opérations effectuées par des hommes blancs sur des athlètes africaines, sans tenir compte des traumatismes que cela peut causer. Or quel est le problème si elles veulent courir ?
    LG : Le fait qu’elle se revendique lesbienne n’a rien arrangé. Par ailleurs, mises à part certaines Américaines comme Serena Williams, les sportives qui obtiennent le plus de sponsors sont des femmes blanches correspondant à des canons de beauté dont Caster est très éloignée. Les tests de féminité sont aussi motivés par cette croyance et cette imagerie. Le cas Caster Semenya est donc à la croisée de plusieurs discriminations et c’est ce qui le rend si complexe.

    Propos recueillis par Olivia Burton, novembre 2022

    Repères chronologique

    2009 : Caster Semenya remporte la médaille d’or lors de la finale du 800 mètres femmes aux Championnats du monde d’athlétisme de Berlin. 

    2011 : La Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) publie un règlement régissant la qualification des femmes présentant une « hyperandrogénie » et impose un traitement hormonal aux athlètes concernées, dont Caster Semenya. 

    2015 : La sprinteuse Dutee Chand porte plainte contre l’IAAF et gagne son procès. Le règlement sur la qualification des athlètes hyperandrogènes est suspendu par le Tribunal Arbitral du Sport. Caster Semenya arrête son traitement. 

    2016 : Caster Semenya remporte la médaille d’Or aux Jeux Olympiques de Rio. 

    2018 : L’IAAF publie un nouveau règlement régissant la qualification des athlètes intersexes. Caster Semenya refuse de prendre un nouveau traitement hormonal. 

    2019 : Caster Semenya et la Fédération d’Afrique du Sud portent plainte contre ce nouveau règlement auprès du Tribunal Arbitral du Sport. 

    Lexique

    Intersexe : Les personnes intersexes sont nées avec des caractères sexuels (génitaux, gonadiques ou chromosomiques) qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps masculins ou féminins. 
    Définition du Collectif Intersexe Activiste – OII France. 

    Hermaphrodite : Le terme hermaphrodisme, employé par la médecine à partir de la fin du XIX° siècle, est biologiquement erroné : les personnes intersexes ne sont pas des êtres mi-mâles, mi-femelles, avec un double appareil génital fonctionnel. 
    Définition du Collectif Intersexe Activiste – OII France.

    Androgène : Se dit d’une hormone naturelle ou médicamenteuse, comme la testostérone, qui provoque le développement des caractères sexuels masculins. 

    Testostérone : hormone sécrétée naturellement chez l’homme et la femme mais en quantité différente.

    Transgenre : est une personne dont l’expression de genre et/ou l’identité de genre s’écarte des attentes traditionnelles reposant sur le sexe assigné à la naissance. Toutes les personnes transgenres ne se reconnaissent pas dans le système binaire homme/femme. 

    Autour du spectacle 

    SAMEDI 11 FÉVRIER
    → Rencontre avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation modérée par Audrey Boisgontier, doctorante au CREDOF, où elle réalise une thèse de doctorat en droit. 
    En partenariat avec le CREDOF.

    Informations pratiques 

    LE RESTAURANT « CUISINE CLUB »
    est ouvert une heure avant et après la représentation et tous les midis en semaine.
    Réservation conseillée : 01 48 13 70 05.

    LA LIBRAIRIE DU THÉÂTRE
    est ouverte avant et après la représentation.
    Le choix des livres est assuré par la librairie La P’tite Denise de Saint-Denis.

    Aller au contenu principal