King Lear Syndrome ou les Mal élevés

    D’APRÈS « Le Roi Lear » de William Shakespeare
    ÉCRITURE ET MISE EN SCÈNE Elsa Granat

    AVEC Lucas Bonnifait, Antony Cochin, Elsa Granat, Clara Guipont, Laurent Huon, Bernadette Le Saché, Édith Proust, Hélène Rencurel ET cinq interprètes amateurs
    DRAMATURGIE Laure Grisinger
    SCÉNOGRAPHIE Suzanne Barbaud
    LUMIÈRE Lila Meynard
    SON John M. Warts
    RECHERCHE MUSICALE Antony Cochin, Elsa Granat
    COSTUMES Marion Moinet
    ASSISTANAT À LA MISE EN SCENE Jeanne Bred
    ASSISTANAT AUX COSTUMES Léa Deligne
    RÉGIE GÉNÉRALE Quentin Maudet
    Administration, production, diffusion Agathe Perrault et Sarah Baranes — LA KABANE, Camille Bard ; Relations avec le public et communication Jessica Pinhomme et Alexia Gourinal — 5eme saison.

    Production Compagnie Tout Un Ciel.
    Coproduction Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis ; Théâtre des Îlets — CDN de Montluçon ; région Auvergne-Rhône-Alpes ; Théâtre de l’Union, centre dramatique national du Limousin ; du Théâtre de Brétigny, scène conventionnée Arts et Humanité.
    Avec le soutien de la région Île-de-France, de la Spedidam, du Fonds SACD Théâtre ; du Grand Parquet, du Théâtre Paris Villette ; des Studios de Virecourt ; du Théâtre des Sources à Fontenay-aux-Roses.
    La Compagnie Tout Un Ciel est conventionnée à la structuration par la DRAC Île-de-France. Elsa Granat est artiste associée au Théâtre des Îlets — CDN de Montluçon, région Auvergne-Rhône-Alpes et au Théâtre de l’Union, centre dramatique national du Limousin. Elsa Granat est membre de la maison d’artistes LA KABANE.


    Entretien avec Elsa Granat

    C’est la première fois que vous abordez un texte classique ?
    Oui. Jusque-là je considérais le théâtre comme un endroit de création pure et non pas comme patrimoine. Je travaille depuis assez longtemps sur la mort, la maladie et la fin de vie. J’ai senti cette fois le besoin de m’inscrire dans une histoire, plutôt que de batailler dans mon coin à vouloir créer des formes nouvelles. Il y a dans la langue poétique de William Shakespeare une solidité, une profondeur pour décrire tous les mouvements de l’âme humaine beaucoup plus grandes que moi.
    Et puis j’avais l’acteur pour le roi Lear : Laurent Huon, avec qui j’avais travaillé en tant qu’actrice chez Christian Benedetti, et qui a vécu une expérience de mort imminente. J’ai pensé qu’il avait l’expérience de vie pour jouer ce roi qui sent qu’il va mourir. Car finalement Le Roi Lear raconte l’histoire d’un homme qui sent que sa mort est imminente mais ne sait pas comment le formuler. Devant cette urgence-là, il fait n’importe quoi et risque tout. Comment appréhender l’approche de la mort ? Pour un humain ça reste toujours inacceptable. 
    Quels sont les partis pris de votre adaptation ? 
    Je ne mets pas en scène toute la cosmogonie, je prends seulement des axes qui m’intéressent : cet escalier vers la mort, et les relations parents-enfants. William Shakespeare a fait une merveille mais ce n’est pas un musée, c’est un jardin dans lequel je vais biner parce que tout ce qui était parlant en 1608 ne l’est pas forcément en 2022. Avec la dramaturge Laure Grisinger, nous avons travaillé sur le mythe plus que sur la littéralité de la pièce. 
    J’ai cherché à réveiller l’écoute de la langue ancienne, en la plaçant dans une situation que les contemporains pourraient accepter. Nous sommes donc parties du fait qu’un vieil homme d’aujourd’hui fait un AVC, suite à quoi il se met à parler bizarrement de son royaume qu’il veut partager entre ses trois filles. Ainsi la langue shakespearienne arrive par les anciens, comme le symptôme d’une maladie neurologique, une forme de délire. Le vieil homme sera diagnostiqué KLS par le neurologue : le King Lear Syndrome se manifeste par des accès de colère, une violence contre les êtres chers et surtout par le fait qu’il ne reconnaît pas sa benjamine. Les filles parlent une langue fade et molle d’aujourd’hui mais pour le récupérer, elles sont obligées de rentrer dans sa folie. Ainsi la vulnérabilité du parent les oblige à se métamorphoser.
    Que sont devenus les autres personnages du Roi Lear ?
    Gloucester est devenu madame Gloucester, une vieille dame que le père va rencontrer dans la maison de retraite où ses filles finissent par le placer. À cause d’une affection au cerveau, madame Gloucester confond ses deux fils, Edgar et Edmond qu’elle déteste. Lors de ses visites, ce dernier ne sait jamais comment sa mère va l’accueillir. C’était une façon de traduire le problème de la bâtardise présent dans le livre.
    Quant au personnage du fou, difficile à garder tel quel dans notre scénario, on a déplacé sa capacité à dire sans filtre ce qu’il voit sur le personnage de l’aide-soignante. C’est la plus proche des vieux mais elle est celle qu’on ne regarde jamais, qui n’est pas très importante – comme le fou dans le palais. Enfin Kent, qui ne peut pas lâcher son roi à qui il a juré fidélité, survit chez le neurologue, qui va l’accompagner jusqu’au bout.
    On a aussi glissé d’autres textes dans les moments de retour au passé : une chanson de Joan Baez, un peu de Guillaume Apollinaire et de Henri Michaux, pour donner d’autres éclairages poétiques à la langue des vieux.
    Comment dosez-vous tragédie et comédie ?
    Je travaille essentiellement sur ce mélange, à partir de situations absolument extrêmes de vie ou de mort, de spectacle en spectacle. Je cherche toujours à porter sur scène une dynamique vitale. Le goût français est très catégorique mais William Shakespeare porte cette tension tragi-comique au sommet. Il me semble que le vivant ne peut être représentable que si ces deux versants sont présents tout le temps. C’est extrêmement exigeant pour les acteurs. On ne va jamais totalement vers le grotesque mais on travaille à la limite, sur des bombes émotionnelles enchâssées, qui n’explosent jamais là où on les attend.
    Quel a été le processus d’écriture ?
    Je suis partie dix jours en 2018 avec des acteurs pour tester la validité du principe de coexistence des deux langues. On s’est rendu compte que ça fonctionnait bien. Ensuite j’ai écrit de mon côté puis Laure Grisinger m’a rejointe. Nous travaillons ensemble étroitement sur la construction du texte, sur ce dont a besoin pour que le spectateur nous suive. Car la place du spectateur est fondamentale, c’est bien pour lui qu’on fait tout ça, pour lui offrir une forme de catharsis. Il n’existe plus tellement d’espaces dans la vie aujourd’hui où l’on peut se permettre l’excès. Je ne cherche pas à estomaquer les gens, il faut juste qu’ils se sentent un peu dépassés, titillés et pleins d’une sorte d’ivresse : celle des émotions, du sens, de ce qu’ils voient aussi dans la scénographie… Bref qu’ils assistent à quelque chose de revivifiant.
    Quels furent les défis de la mise en scène ?
    La distribution s’est faite facilement. La plupart des comédiens sont des compagnons de longue date avec qui on se comprend très vite. C’est cette complicité qui permet de créer un tel objet. 
    La difficulté pour la mise en scène était de faire coexister les deux pôles, celui d’aujourd’hui et celui de 1608. Et de tenir la durée d’une forme épique : déployer des décors qui ne soient pas lassants, par exemple, qui soient lisibles mais qu’on puisse déréaliser. Donner aussi sa juste place à la musique qui fonctionne pour moi comme un texte, comme un patrimoine. 
    Sur tous les plans, on essaie de faire en sorte que rien ne soit univoque, qu’il y ait toujours plusieurs facettes dans les scènes. Ce doit être très actif, très impliquant, pour l’acteur comme pour le spectateur qu’on cherche à mettre en état de curiosité vive. Cela donne un jeu très incarné, un peu brutal parfois, qui va au bout des choses. Pour moi le théâtre est une affaire de crise. La vitalité de la narration est essentielle, j’aime bousculer la linéarité et la standardisation des récits. On avance par rebonds, d’émotion en émotion, vers une autre scène. Le délire neurologique sur lequel on travaille induit forcément des trous, des moments d’intranquillité et de tension. Il ne s’agit pas pour autant de perdre les gens. On essaie de donner des codes clairs. 
    Par ailleurs on pose sur scène des problématiques dont on parle beaucoup mais qu’on ne prend pas le temps de regarder : comment le corps vieux se déplace, le temps que ça lui prend ; ou combien leur métier coûte physiquement aux aides-soignantes. Le théâtre est vraiment l’endroit où l’on peut regarder ce qu’on ne voit plus dans la société. C’est pourquoi l’équipe est protéiforme, avec des corps et des visages hors des normes, qui permettent de rafraîchir le regard. 

    Propos recueillis par Olivia Burton, novembre 2021


    Elsa Granat 

    Née à Marseille en 1981, elle commence le théâtre après ses études (khâgne et hypokhâgne), elle se forme au Conservatoire national à rayonnement régional de Marseille sous la direction de Christian Benedetti. Elle fait la rencontre déterminante d’Edward Bond à l’occasion d’un stage à la Friche de la Belle de Mai. À Paris, elle complète sa formation dans la classe libre du Cours Florent. Depuis 2004 elle a joué sous la direction de Christian Benedetti (L’Amérique, suite de Biljana Sbrljanovic, Oncle Vania et Les Trois Sœurs d’Anton Tchekhov), Serge Catanese (Caligula), Sifan Shao (Feydeau et Cetera), Benjamin Porée (Andromaque, Platonov, Trilogie du revoir), Alain Ubaldi (La Chambre de Médée). En septembre et octobre 2019 elle joue dans Data Mossoul de Joséphine Serre à la Colline – Théâtre national. En janvier 2021, elle joue dans RIVIERA, dernière création d’Alain Ubaldi au Théâtre des Halles, scène d’Avignon. En tant que dramaturge, elle a été l’assistante de Jérôme Hankins sur le théâtre jeune public d’Edward Bond et de Christian Benedetti sur Lampedusa Beach de Lina Prosa et Existence d’Edward Bond lors de la création de ces pièces à la Comédie-Française. Son texte, Dans les veines ralenties, a été monté par le Deug Doen Group et Aurélie Van Den Daele au Théâtre de l’Aquarium. Elle a fait la dramaturgie du premier spectacle de Lola Naymark, Pourtant elle m’aime. Elle crée plusieurs seul en scène à partir du désir d’un acteur de se découvrir. Elle met en scène avec Roxane Kasperski Mon Amour fou (2015), avec Christophe Carotenuto Quelque chose en nous de De Vinci (2016), avec Lola Naymark sur un texte de Guillaume Barbot, La nuit je suis Robert De Niro (2017). 
    Chacune de ces collaborations explore le champ de l’identité et tente de cerner ce qui rend chaque être humain irremplaçable. Avec Tire l’aiguille, spectacle musical créé en mai 2018 au Théâtre Antoine Vitez – scène d’Ivry, elle continue la même exploration avec des musiciens descendants de la Shoah. Elle travaille par ailleurs avec Milosh Luczynski plasticien numérique et Laure Grisinger sur l’hybridation entre numérique et théâtre via un procédé d’écriture augmentée, le projet Icona Furiosa, après une résidence au Centquatre et à La Chartreuse, centre national des écritures du spectacle. Elle crée avec Roxane Kasperski, en 2020 V.I.T.R.I.O.L au théâtre de la Tempête. En septembre 2020, elle participe à l’occasion, des Journées du matrimoine organisées par le Collectif H/F Île-de-France, au grand loto des femmes artistes oubliées, conçu par le collectif Incertaines et Fées, qu’elle a créé avec Claire Méchin et Marie Combeau. 
    En juin 2022, elle écrit et met en scène Artificielles, un spectacle frontière, mêlant acteurs professionnels et acteurs amateurs pour penser en commun un tournant décisif de notre société : l’intelligence artificielle au service du soin.
    Elle crée en juin 2024 le spectacle de sortie de l’ESAD, Nora Nora Nora de l’influence des épouses sur les chefs-d’œuvres, il s’agit d’une mise en perspective de La Maison de poupée de Henrik Ibsen


    Laure Grisinger

    Fascinée par les histoires qui se racontent dans les familles, et par la façon dont ces fictions structurent nos rapports intimes et déterminent les repères à l’intérieur desquels nous sommes appelés à donner forme à nos existences ; c’est sur la conviction qu’il faut porter une grande attention à nos fictions qu’elle fonde son rapport à la dramaturgie. 
    Au terme de ses deux années de classe préparatoire littéraire à Toulouse, elle se spécialise en études théâtrales et obtient un double master à l’Université Paris 3. En 2012, invitée par le Théâtre régional de Merida (Mexique) à participer au Festival Otono Cultural, elle réunit sur scène quatre acteurs français et six musiciens mexicains pendant trois mois. Elle travaille sur la problématique du surtitrage au théâtre avec la troupe nationale mexicaine La Rendija. De retour en France, elle intègre l’équipe du Théâtre-Studio d’Alfortville, et devient assistante à la mise en scène de Christian Benedetti pour Le Projet Tchekhov.
    Depuis 2016, elle travaille en tant que dramaturge avec différents artistes. Elle développe, avec Elsa Granat, des spectacles et performances autour du soin et des relations intimes et politiques qui le structurent : Le Massacre du printemps ; King Lear Syndrome ou les Mal élevés ; Artificielles. Après une résidence d’auteur à La Chartreuse, centre national des écritures du spectacle, elle crée avec Elsa Granat et Milosh Luczynski plasticien numérique Rature et Icona Furisosa, performances d’écriture augmentée au CENTQUATRE. 
    Co-directrice de L’Usine à Lièges, avec Édith Proust elle se consacre à l’écriture et à la mise en scène de spectacles de clown contemporain Le Projet Georges, « Romance et Jouissance » G. 
    En 2020, accompagnée d’un groupe de douze adolescents de Villiers-le-Bel, du philosophe Benedetto Martini et des scénographes Mahmoud Halabi et Elsa Noyons, elle crée un spectacle et un podcast pour répondre à la question : La civilisation c’est par où ? au Moulin Fondu, centre national des arts de rue et de l’espace public à Garges-lès-Gonesses (projet lauréat du dispositif « Écrire pour la Rue 2019 » DGCA/SACD). 
    Depuis 2019, elle collabore également au projet artistique de la compagnie (S)-Vrai Stéphane Schoukroun et Jana Klein, et a participé à la dramaturgie de : Notre Histoire, Se construire, L la nuit.
    En parallèle, elle mène de nombreux ateliers avec des mineurs isolés étrangers, des élèves de collèges et lycées, des jeunes aidants, des bénévoles de la Goutte d’Or, pour interroger la communauté sur les thématiques qui meuvent ses créations, et les mettre en actes. Dans le cadre de la distribution alimentaire aux familles à La Goutte d’Or (Paris 18e) qu’elle a crée et qu’elle coordonne depuis 2020, elle réalise un podcast : Les Femmes de Saint-Bernard. Cette saison elle a écrit et conçu au Grand Parquet : Quand on est bénévole, est-ce qu’on parle d’amour ? pour douze bénévoles-bénéficiaires de cette distribution alimentaire et deux acteurs de la compagnie Tout Un Ciel. 


    Autour du spectacle 

    Dimanche 22 janvier
    → Rencontre avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation modérée par Tatiana Gründler, maîtresse de conférences en droit public à l’Université Paris Nanterre, membre du CREDOF.

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