PROGRAMME DE SALLE

    7 minutes

    DE Stefano Massini
    MISE EN SCÈNE Maëlle Poésy


    AVEC LA TROUPE DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE 
    Véronique Vella Blanche 
    Sylvia Bergé Odette
    Coraly Zahonero Rachel
    Françoise Gillard Arielle
    Élise Lhomeau Sabine
    Élissa Alloula Mireille
    ET Camille Constantin Zoélie
    Elphège Kongombé Yamalé Lorraine
    Maïka Louakairim Sophie
    Mathilde-Edith Mennetrier Agnès
    Lisa Toromanian Mahtab
    TRADUCTION Pietro Pizzuti
    DRAMATURGIE Kevin Keiss
    SCÉNOGRAPHIE Hélène Jourdan
    LUMIÈRE Mathilde Chamoux
    SON Samuel Favart-Mikcha
    COSTUMES Camille Vallat
    MAQUILLAGE, COIFFURES ET PERRUQUES Catherine Saint-Sever
    ASSISTANAT À LA MISE EN SCÈNE Aurélien Hamard-Padis

    Production Comédie-Française / Théâtre du Vieux-Colombier.

    En partenariat pour la tournée avec le Théâtre Dijon-Bourgogne – CDN. 


    Entretien avec Maëlle Poésy

    Chantal Hurault. Avec 7 minutes, vous prolongez un travail entamé dans vos précédents spectacles sur le rapport de l’individu au collectif. Qu’est-ce qui a prédominé dans le choix de cette pièce ?

    Maëlle Poésy. À partir de onze femmes qui doivent prendre une décision avec des conséquences immédiates sur le travail et la vie de deux cents autres, Stefano Massini a écrit une partition chorale sur la manière dont fonctionne un groupe, sur le cheminement de chacune vers une pensée commune. Il ouvre, sans aucun jugement, une réflexion sur la difficulté d’une démarche en collectif, sur ce que représente le fait de choisir, de se mettre d’accord, de se convaincre, de croire en la parole d’une autre…

    J’aime que ces femmes soient d’âges et de parcours divers, à des moments différents de leur vie ; cela renforce le caractère unique et complexe de leur appréhension de la situation. C’est une pièce sur les limites, sur nos marges de renoncement quand, sommés de faire un choix, le collectif devient ou pas plus important que le bien-être individuel. La pièce de Massini propose un théâtre politique, pas un théâtre militant. Cela me paraît essentiel d’entendre celles que l’on n’entend jamais, de voir ce que l’on ne voit jamais, et ce grâce à un plateau qui mêle différentes générations de femmes. En tant que miroir de la société, le théâtre nous interroge sur notre environnement direct et on peut trouver des échos avec l’actualité des grèves. Cependant, l’enjeu central n’est pas ici la lutte elle-même, mais le trajet pour aller ou non vers elle.

    C. H. À quoi doit-on renoncer au nom de cette pensée collective ?

    M. P. Aux évidences ! Si j’aime les anti-héros et anti-héroïnes au théâtre, c’est justement parce qu’ils déplacent nos repères en se portant garants de ces « pas de côté » qui nous permettent de regarder le monde différemment, hors d’une pensée unique. La structure dramaturgique de ce huis clos a l’intérêt de nous faire suivre une pensée en mouvement dans un temps donné. Stefano Massini évoque Douze hommes en colère où, dans le contexte de la peine de mort aux États-Unis, Sidney Lumet filme une délibération de jurés qui doivent voter à l’unanimité la culpabilité ou l’innocence d’un accusé. Là aussi, tous croient à une délibération rapide, tous sauf le personnage d’Henry Fonda qui est le seul à voter au premier tour « non-coupable ». Par ce vote, il dit l’exigence de renoncer à l’évidence. Dans un mouvement identique, Blanche, qui a représenté ce petit groupe durant la négociation avec les nouveaux patrons de l’usine, l’incite à prendre le temps de réfléchir à ce que représente cette pause, a priori dérisoire face aux emplois sauvegardés. Est-ce « un luxe ou un droit ? » demande-t-elle. Ces sept minutes cristallisent un « rapport plus global au temps en nous conduisant à considérer ce qui est ou non essentiel : est-ce la productivité ? Une respiration garante de liberté individuelle ? Un repos gage de performance ? Est-ce le rêve et l’imaginaire ? Ici, ce « pas grand-chose » touche à la marchandisation du travail, à ce que cela charrie comme vision de la société et éthique de vie.

    C. H. Stefano Massini fait référence, en exergue de son texte, aux ouvrières de Lejaby qui ont mené en 2010 une lutte importante à la suite de l’annonce d’un plan social. Qu’évoquent pour vous celles que l’on nomme les ex-Lejaby ?

    M. P. Stefano Massini en fait l’emblème d’un monde ouvrier que l’on entend peu et que l’on est en train de faire disparaître. Il dit avoir mélangé plusieurs histoires, les ex-Lejaby que j’ai rencontrées m’ont d’ailleurs confirmé n’avoir jamais été sujettes à une problématique de pause. Évoquer Lejaby est une façon de personnifier les nombreuses luttes féminines qui ont existé, dont ont dernièrement fait partie lesdites Samsonite.

    J’y vois une forme de réhabilitation de ces grandes oubliées de l’histoire. Comme l’évoque la politologue Françoise Vergès, leur invisibilité tient à ce que leurs luttes ne sont pas placées sous la figure d’un leader : éminemment collectives, elles n’offrent pas de noms ou de visages permettant de les personnifier, apanage fréquent des luttes masculines. N’oublions pas également que, dans les rapports de domination que relève l’historienne Michelle Perrot, les diverses révoltes ouvrières du XIXe siècle, ou du début du XXe siècle pâtissaient d’un jugement extrêmement négatif à cause du statut social des femmes qui se battaient. Elles travaillaient, alors qu’on les aurait préférées uniquement ménagères. Michelle Perrot dénonce à ce titre un manque de considération des revendications féminines, souvent réduites à l’anecdotique, qu’elle réhabilite en geste politique réfléchi.

    C. H. Vous avez rencontré de nombreuses ouvrières qui travaillent ou ont travaillé dans des usines, notamment de textile. Il était nécessaire pour vous d’aborder ce texte à travers des témoignages ?

    M. P. Ces rencontres, précieuses et essentielles, m’ont permis de rassembler des parcours de vie, avec certaines femmes confrontées à un ou plusieurs licenciements, d’autres travaillant depuis près de trente ans dans la même usine. Il était important d’entendre leurs histoires, leurs quotidiens, leurs rêves, leurs envies qui vont nourrir l’imaginaire des actrices, à qui je demande de donner vraiment chair à leur personnage. Les films des frères Dardenne, de Ken Loach ou de Stéphane Brizet sont sur ce point exemplaires car ce sont des films paysages sur des portraits de personnes où les enjeux sociaux et politiques sont toujours incarnés. On retrouve dans 7 minutes la violence d’une industrialisation déshumanisante, ces ouvrières qui sont des proies faciles sont dans une contradiction permanente entre une solidarité très forte et une menace de la division. Toutes les ouvrières que j’ai rencontrées m’en ont parlé tant les contraintes du rendement entraînent une compétitivité. On en revient à la notion de temps, un temps chronométré, extrêmement surveillé, qui ne parvient cependant pas à abolir entièrement l’entraide et la conscience du groupe. Si j’insiste sur les parcours de vie, c’est aussi parce que l’unité ne vient pas de soi. Ces femmes ne sont pas forcément faites pour s’entendre, la pièce s’ouvre sur un groupe désuni, et pose fondamentalement la question de la difficulté de s’unir dans un cadre social poussé à l’extrême précarité.

    C. H. Vous êtes sensible à ce que ces personnages ne soient pas rompus à l’art de la rhétorique. Qu’est-ce que cela apporte théâtralement ?

    M. P. Elles ne sont pas habituées à parler ainsi en public. Rappelons qu’elles font partie d’un comité d’usine comme il en existe en Italie sur le modèle soviétique, qu’elles n’appartiennent pas à une couleur politique et ne sont pas familières d’une ligne syndicale. J’ai un grand plaisir à travailler avec les actrices sur cette parole de l’instant, qui est réfléchie tout en étant viscérale. La partition s’apparente à un long plan-séquence où il n’y a – hormis l’arrivée de Blanche – aucune entrée ou sortie de scène : elles sont en permanence au plateau et certaines ne parlent pas pendant longtemps. Le jeu servira ces cheminements souterrains à vue du public. À l’intérieur de ce grand trait où les répliques fusent tel un boulet de canon, nous devons porter attention aux micro-mouvements qui le composent, aux pics et aux suspens. C’est une forme passionnante à prendre en charge physiquement, dans ses détails, dans ses façons de rompre le silence ou d’interrompre l’autre afin de dessiner ce mouvement de groupe qui s’agence, à l’image d’un vol d’oiseaux migrateurs qui se suivent, s’arrêtent, se répondent.

    C. H. La scénographie met en place un dispositif immersif. Est-ce lié à l’idée de huis clos ?

    M. P. Le projet scénographique est né alors que nous étions avec les membres de l’équipe artistique en train de visiter une usine textile. Il ne pouvait bien entendu pas s’agir d’un local syndical puisque ces femmes n’appartiennent pas à un syndicat. Et, en dehors de ces locaux, les salles de réunion sont quasiment inexistantes dans les usines. En choisissant ce lieu de pause qui existe, à la frontière du local de stockage, nous sommes allées vers un espace intermédiaire où l’attente est malaisée, sans disposition au secret. Il nous a paru judicieux de choisir un endroit inadéquat au conciliabule ; les conditions ne sont pas réunies pour faire durer la discussion, on peut y être interrompu à tout moment, y être entendu, il n’y a pas forcément de quoi boire ou manger… Je voulais que le lieu raconte la difficulté de se rassembler dans ces espaces, de se penser ensemble. Dans tous mes spectacles, je cherche une expérience physique du spectateur, dans un équilibre entre la réflexion et la sensation. En choisissant de lacer ce huis clos dans un dispositif bifrontal, j’ai voulu rompre avec le point de vue objectif induit par un rapport frontal. Une partie des spectateurs sera nécessairement face à celle qui parle tandis que ceux d’en face verront les réactions sur les visages de celle ou celles à qui elle s’adresse. Et inversement. Cela amplifie la subjectivité du public comme des personnages, l’enjeu étant de faire ressortir qu’aucune n’a la même appréhension de ce qui est en train de se passer alors que tout ce qui se dit concerne le collectif.

    Nous partageons le moment de la décision en temps réel avec les personnages, sous la forme d’un long plan séquence.

    Nous avons ainsi imaginé un espace de discussion englobant en jouant sur un effet de profondeur de chaque côté du public grâce à un plafond de fluos qui s’étend sur l’entièreté de la salle. Ce volume évoque ceux très vastes des usines et introduit un hors-champ expressif : l’ailleurs dont ces femmes sont le jouet et qu’elles ne peuvent que fantasmer. Les hommes qui sont en train de décider pour elles ont-ils seulement conscience de leur espace à elles, social et intime, que nous sommes nous, spectateurs, en train de partager ?

    Entretien réalisé par Chantal Hurault, responsable de la communication et des publications du Théâtre du Vieux-Colombier

    Maëlle Poésy

    Après un master d’études théâtrales à l’université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle, Maëlle Poésy se forme en danse avec les chorégraphes Hofesh Shechter, Damien Jalet et Koen Augustijnen (les ballets C de la B). En 2007, elle est admise à la London Academy of Music and Dramatic Art mais choisit d’intégrer la section jeu de l’École du Théâtre national de Strasbourg. Elle joue au théâtre sous la direction de Paul Desveaux, Nicolaï Koliada, Gerold Schumann, Christiane Jatahy et tourne en France avec les réalisateurs Marc Rivière, Edwin Baily, Philippe Claudel et aux États-Unis avec le réalisateur Nathan Silver.

    Elle met en scène en 2011 Funérailles d’hiver d’Hanokh Levin (Théâtre en Mai, Théâtre Dijon-Bourgogne – CDN) et Purgatoire à Ingolstadt de Marieluise Fleisser à l’Espace des Arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône puis en tournée durant la saison 2012-2013. Elle crée Candide, si c’est ça le meilleur des mondes… d’après Voltaire à Théâtre en Mai, repris au Théâtre de la Cité internationale à Paris et en tournée nationale de 2014 à 2019. Elle participe au Director’s lab international du Lincoln Center à New York en 2014 et aux Rencontres internationales de jeunes créateurs et critiques des arts de la scène du Festival TransAmériques au Québec en 2015. En 2016, elle met en scène deux pièces de Anton Tchekhov, Le Chant du cygne et L’Ours avec la troupe de la Comédie-Française au Studio-Théâtre. Maëlle Poésy reçoit le prix l’Association professionnelle de la critique de théâtre, de musique et de danse dans la catégorie révélation théâtrale (prix Jean-Jacques Lerrant) pour ce dernier spectacle et Candide, si c’est ça le meilleur des mondes… Sa mise en scène de Ceux qui errent ne se trompent pas de Kevin Keiss, d’après La Lucidité de José Saramago est présentée à l’Espace des Arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône et en ouverture du Festival d’Avignon 2016.

    L’année suivante, elle met en scène Orphée et Eurydice de Gluck à l’Opéra de Dijon. En 2018, elle joue, co-écrit et co-met en scène País clandestino avec les metteurs en scène et auteurs Jorge Eiro (Argentine), Pedro Granato (Brésil), Lucia Miranda (Espagne) et Florencia Lindner (Uruguay). Le spectacle est créé dans le cadre du Festival international de Buenos Aires et tourne depuis dans plusieurs festivals internationaux au Chili, au Brésil, au Mexique, en Uruguay, au Portugal. Elle met également en scène, lors de la saison 2017-2018, Inoxydables de Julie Ménard au Théâtre Dijon-Bourgogne – CDN, spectacle itinérant dans les lycées et en région Bourgogne. En 2019, elle crée Sous d’autres cieux d’après L’Énéide de Virgile (libre adaptation Maëlle Poésy et Kevin Keiss) au Festival d’Avignon.

    Par ailleurs, Maëlle Poésy a réalisé deux courts métrages Time Flies (2020) et Sans Sommeil (2021, production Shellac) et intervient comme enseignante à l’École Régionale d’Acteurs de Cannes et Marseille et à l’Université Bordeaux Montaigne.

    En septembre 2021, elle est nommée directrice du Théâtre Dijon-Bourgongne – CDN.  Maëlle Poésy est artiste associée à l’Azimut — Pôle National Cirque en Île-de-France, Antony / Châtenay-Malabry.

    Autour du spectacle 

    vendredi 21 octobre

    rencontre avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation modérée par Anne-Laure Benharrosh, enseignante et chercheuse en littérature

    samedi 22 octobre

    représentation en audiodescription réalisée par Valérie Castan

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