Programme de salle La Nuit des rois

    La Nuit des rois

    De William Shakespeare 
    Traduction André Markowicz
    Mise en scène  Sylvain Levitte

    Avec Lina Alsayed, Lison Autin, May Hilaire, Lucile Jégou, Kenza Lagnaoui, Yasmine Nadifi, Julia Roche, Juliette Savary, Olga Amélia Silkina
    Collaboration artistique  Clara Noël
    Scénographie Lola Sergent  Sylvain Levitte
    Dramaturgie  Estelle Baudou
    Lumière  Pascal Noël
    Son Olivier Renet
    Costumes Sylvette Dequest
    Maquillage, Perruques, coiffures Cécile Kretschmar
    Travail sur le genre Julie Moulier
    Répétition chant Rachel Pignot
    Régie générale et lumière Jérôme Delporte
    Régie plateau Olivia Morin, Rachid Bahloul
    Régie lumière Sharron Printz
    Régie son Théo Cardoso, Léo Rossi-Roth
    Habillage Sarah Bruchet, Nelly Geyres
    Construction du décor Le Préau, centre dramatique national de Normandie – Vire

    Production compagnie Les choses ont leurs secrets.
    Coproduction compagnie Jérôme Deschamps ; Le Tangram,  Scène Nationale d’Évreux-Louviers ; le Théâtre Gérard Philipe, centre national dramatique de Saint-Denis ; La Criée, Théâtre National de Marseille ; Le Préau, centre dramatique national de Normandie-Vire ; Conseil Départemental de l’Eure ; la Région Normandie et le ministère de la Culture (Drac Normandie).
    Soutiens L’Étable, compagnie des Petits Champs, Beaumontel ; Jeune Théâtre National, Paris ; École de la Comédie de Saint-Étienne / DIÈSE #Auvergne-Rhônes-Alpes ; MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis et le Théâtre de l’Aquarium pour le prêt de costumes.

    Accueils en résidence Arta-Cartoucherie, Vincennes ; Le Volcan, Le Havre ; Le CENTQUATRE-PARIS.

    NOTE D’INTENTION

    Au cœur de cette comédie de Shakespeare se trouve une histoire de manque, de désir perdu et retrouvé. Du désir qui surgit, comme par surprise, bouleversant l’être qui en est saisi, l’amenant à se découvrir lui-même et le monde dans une étonnante beauté radieuse. Ce que Barbara chante en ces termes : « ça vient de loin, ça s’est promené de rives en rives, le rire en coin, et puis un matin au réveil, c’est presque rien mais c’est là, ça vous émerveille, au creux des reins… »

    Viola, l’étrangère androgyne, en est le catalyseur. Venue de loin, elle s’est promenée de rives en rives, faisant revivre son frère absent par son travestissement. Elle est comme l’hôte merveilleux de Pasolini dans Théorème. Elle fascine, capte tous les regards et déchaîne les passions.

    En mettant le désir au cœur du sentiment amoureux, Shakespeare initie un élan de vie envahissant tous les corps. Désirer, comme fantasmer, fait appel directement à l’imagination. C’est exactement ce que La Nuit des rois fait vivre à ses protagonistes. Leurs désirs sont instinctifs, incontrôlables et les débordent irrationnellement.

    Ces pulsions irrépressibles puisent leurs origines dans le calme insupportable de grandes solitudes. Celle d’Orsino, par exemple, sera mon point de départ : un royaume morcelé aux errances physiques et émotionnelles sans but ni envie. Des lenteurs, des pensées obsédantes et des respirations lourdes et lentes. Le désespoir semble s’être installé. Les absents occupent les pensées. C’est bien de ces manques que semble parler Shakespeare, en laissant à chacun la possibilité d’entrevoir une issue radieuse qui comblerait tout, si elle n’était pas illusoire. De l’espoir envahissant frénétiquement les êtres naît la comédie.

    Si les passions intérieures sont destinées à être volcaniques, cette pièce n’en reste pas moins douce comme une plume. Je vois dans ce texte une réponse à notre profond besoin de tendresse et de délicatesse, d’élégance et de sensualité.

    Il y fait chaud, on a besoin de se passer de l’eau sur le visage. Au loin, ça chante italien. Parce que la mélancolie aussi peut-être magnifique, cette pièce ne cherche pas à nous imposer un bonheur préfabriqué. Elle fait de la sensibilité une force et des corps son centre névralgique. Car le désir est comme un mouvement de l’âme : le corps y est tout entier habité.

    Pour faire vivre les douze protagonistes désirant de La Nuit des rois, je choisis huit comédiennes et une pianiste. Shakespeare écrivait pour des hommes, je trouve qu’il est beau, aujourd’hui, de voir une troupe de femmes s’emparer d’une pièce sur le désir où la trivialité flirte avec la sensibilité, la force avec la pudeur, l’intelligence avec la bestialité. Nous allons jouer des sexes, des genres, nous transformer avec joie, malice, radicalité et tendresse.

    Sylvain Levitte, juin 2018

    QUELQUES DONNÉES SUR LE THÉÂTRE ÉLISABÉTHAIN

    Le théâtre élisabéthain est exceptionnel en plusieurs points. Il se veut populaire et exigeant. Il est aussi, à une période qui n’est pas considérée comme des plus libertines, un lieu de liberté tout bonnement hallucinant. Il n’y a aucune règle imposée dans la structure narrative et les cas où la censure royale a dû intervenir peuvent se compter sur les doigts d’une main. À cette époque, il n’y est question que de plaisir au présent. À Londres, la moyenne d’âge ne dépasse pas trente ans. Divertissement populaire, lieu de fête, de drague et de beuverie, l’architecture même des théâtres place les spectateurs au centre d’un déchaînement des passions, propre à l’esthétique baroque.

    Présenter une œuvre du corpus élisabéthain ne peut se défaire du tissu des conditions de création et de représentation qui en furent à l’origine. Il faut se rappeler que les pièces sont destinées à tourner quelques années en Angleterre, avant de retomber dans l’oubli. Ce sont des pièces de troupe, où les acteurs participent en répétition à l’écriture de l’œuvre bien avant les créations collectives, soi-disant propres à nos époques. Il n’y a jamais eu de velléité d’édition chez Shakespeare, c’est une donnée plutôt tardive. Sauf pour ses sonnets, il n’y a jamais eu de véritable Shakespeare-auteur tel qu’on peut se l’imaginer à travers la caricature d’un écrivain seul, planchant à son bureau à l’écriture de son chef-d’œuvre. La Nuit des rois a été écrite sur le plateau et dans les tavernes dans un seul but : plaire au public, faire rire, faire pleurer : bref, divertir et, surtout, être un succès pour gagner sa croûte. Cette réalité n’est absolument pas réductrice, bien au contraire. Faire un tel chef-d’œuvre avec une ambition si noblement concrète relève du véritable génie. Chez Shakespeare, tout peut s’expliquer par les contraintes techniques : par exemple, s’il y a autant de personnages, c’est qu’il y avait autant de comédiens à faire jouer. Le théâtre élisabéthain, c’est une aventure de troupe, sans aucune velléité conceptuelle ou politique, c’est bien la jouissance poétique du moment présent : celle de la représentation. Il n’y est, au fond, que question de désir.

    Revenir à l’essentiel, parfois, est bien plus créatif, oui, nous voulons juste nous rappeler que La Nuit des rois a été créée dans cet état d’esprit, pour récupérer ce que l’on peut de joie, d’envie et d’euphorie pour les spectateurs, retrouver le grand spectacle, le plaisir populaire sans jamais négliger son exigence la plus aiguë. Car nous aimons croire que l’exigence n’est pas contradictoire avec le plaisir, voir même que plus il y a de simplicité, d’honnêteté et d’immédiateté dans le rapport des spectateurs au théâtre, plus les dimensions philosophiques les plus complexes ont une chance de se faire entendre. Ainsi, l’œuvre est un matériau pur dont le plateau doit se saisir à sa guise, selon son époque et ses nécessités pour offrir ce qu’il peut de frissons et de passions à son public. En tout cas, c’est de ce cette manière que nous voulons l’envisager, sans jamais renier le génie littéraire absolu de son auteur, qu’il n’est plus d’actualité ni de dénigrer, ni de vanter. 

    Sylvain Levitte

    MISE EN SCÈNE

    Né en 1988, Sylvain Levitte débute son parcours artistique par les arts du cirque, puis le chant à la Maîtrise des Hauts-de-Seine (opéra Bastille, Aix-en-Provence…), et le théâtre à l’école du Studio Théâtre d’Asnières et au CNSAD à Paris.

    En tant qu’acteur, il joue sous les directions de Declan Donnellan dans Andromaque (Racine) et Ubu Roi (Alfred Jarry), de Jorge Lavelli dans Le Garçon du dernier rang (Juan Mayorga), de Jacques Vincey dans La Nuit des rois (William Shakespeare), de Macha Makeïeff dans Trissotin ou Les Femmes savantes (Molière) et La Fuite (Boulgakov), de Luc Bondy dans Les Fausses Confidences (Marivaux) et Tartuffe (Molière), de Patrick Simon dans Cérémonies (Dominique Paquet), de Jean-Christophe Blondel dans Retours et Voyage d’hiver (Fredrik Brattberg), de Julie Brochen dans Le Cadavre vivant (Tolstoï) et de Sandy Ouvrier, Denis Podalydès, Xavier Maurel au CNSAD. Il enregistre régulièrement pour la radio des fictions sur France Culture et France Inter réalisées, entre autres, par Cédric Aussir (20 000 lieues sous les mers, Candide) et Baptiste Guiton (L’Appel des abysses).

    Il assiste Peter Brook et Marie-Hélène Estienne pour le spectacle Why ? en 2020 et travaille depuis régulièrement avec eux aux Bouffes du Nord.

    Il crée la compagnie Les choses ont leurs secrets en 2013 et met en scène trois pièces de Shakespeare : Le Roi Lear, La Nuit des rois et prochainement Le Conte d’hiver. Les corps des acteur·rice·s sont au cœur des processus de création et une place particulière est réservée à la recherche et à l’écoute des corps au plateau.

    Précédemment, il avait mis en scène au CNSAD Les Fâcheux (Molière) et Lulu(s) (Frank Wedekind).

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