Et le cœur fume encore

    CONCEPTION, MONTAGE ET ÉCRITURE Margaux Eskenazi et Alice Carré
    AVEC DES EXTRAITS DE Assia Djebar, Édouard Glissant, Jérôme Lindon et Kateb Yacine
    MISE EN SCÈNE Margaux Eskenazi

    du 30 septembre au 11 octobre 2020
    du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h30
    relâche de lundi
    durée : 2h – salle Roger Blin

    AVEC Armelle Abibou, Loup Balthazar, Salif Cissé, Malek Lamraoui, Yannick Morzelle, Raphaël Naasz, Eva Rami
    AVEC LES VOIX DE Éric Herson-Macarel, Nour-Eddine Maâmar, Paul Max Morin
    COLLABORATION ARTISTIQUE Alice Carré
    SCÉNOGRAPHIE Julie Boillot-Savarin
    LUMIÈRE Mariam Rency
    VIDÉO Jonathan Martin, Mariam Rency
    SON Jonathan Martin
    COSTUMES Sarah Lazaro
    RÉGIE GÉNÉRALE ET LUMIÈRE Marine Flores
    RÉGIE PLATEAU Rachid Bahloul
    RÉGIE LUMIÈRE Richard Fischler
    RÉGIE SON Pierre de Cintaz
    HABILLAGE Ornella Voltolini
    RESPONSABLE DES PRODUCTIONS Émilie Ghafoorian-Vervaët
    DIFFUSION Label Saison – Gwenaëlle Leyssieux

    REMERCIEMENTS
    La Compagnie Nova remercie chaleureusement pour leurs témoignages, confidences, dialogues et leur confiance toutes les personnes que nous avons rencontrées et qui nous ont permis de créer ce spectacle : Abdel-Ghani, L’Académie française, Kemal Alloula, Rachid Aous, Association les 4 ACG, Malek Bensmaïl, Raphaëlle Branche, Anna Brugnacchi, Olivia Burton, le Centre culturel algérien de Paris, le Cercle algérianiste de Marseille, Kevin Durst, Les Éditions de Minuit, L’équipe du Collectif 12, Najib El Arouni, Annie Eskenazi, Frédéric Fachena, Sylvie Glissant, Alyne Gonzalès, Sarra Grira, Lazare Herson-Macarel, Stanislas Hutin, Amine Khaled, Luc Khiari, Ghislain Levy, Paul Max Morin, Nicolas Morzelle, Michel Naman, Raphael Naman, Robert Naman, Kamel Ouarti, Claire Ollivier, Rahim Rezigat, Benjamin Stora, Alice Zeniter, l’équipe du Studio Théâtre de Stains, Claudie Tabet, Salima Tenfiche

    Production La Compagnie Nova et FAB – Fabriqué à Belleville.
    Avec le soutien de la Région Île-de-France, de la Ville des Lilas, du Département de la Seine-Saint-Denis, de Lilas-en-Scène, de la Ferme Godier (dans le cadre de la résidence action et territoire de la DRAC .le-de-France), du Studio Théâtre de Stains, du Collectif 12, du Centre culturel de la Norville, d’Arcadi, du ministère de la Culture (DRAC .le-de-France) et de la Grange Dîmière – Théâtre de Fresnes, de la fondation E.C Art Pomaret, de la Spedidam, de la fondation d’entreprise Vinci pour la cité.
    Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National.

    Entretien avec Margaux Eskenazi et Alice Carré

    Après le premier volet du diptyque  » écrire en pays dominé « , comment s’est construit le processus de création de ce second opus ?

    Margaux Eskenazi : Pour ce deuxième volet, toujours attachées à la poétique de la décolonisation, aux amnésies coloniales et surtout à la parole des auteurs, notre regard s’est tourné vers Kateb Yacine, auteur algérien qui prenait la langue française comme une arme de guerre et pour qui la lutte contre la colonisation passait par la poésie.
    Alice Carré : En commençant nos recherches, nous avons constaté que la connaissance historique était absolument nécessaire pour comprendre la poésie. Nous nous sommes aperçues que tous parmi nous étions liés à cette Histoire qui n’a été transmise par l’école et par les familles que de façon très lacunaire. Nous sommes parties de ces manques et avons intégré au travail historique la littérature pour le rôle qu’elle a joué dans la guerre d’indépendance algérienne.
    M. E. : En plus de l’étude des archives, films et autres documents, nous avons rencontré des historiens, des sociologues et des artistes algériens. Avec les comédiens et l’équipe artistique, nous avons récolté des témoignages de personnes qui ont vécu ou qui ont hérité de la mémoire de cette guerre. Les rencontres qui ont construit le spectacle se sont faites dans les banlieues où nous vivons et travaillons. La diversité des points de vue recueillis, sorte de kaléidoscope des mémoires, nous a servie pour l’écriture. La première interrogation était de savoir d’où on regardait. Ne souhaitant pas s’approprier une histoire qui n’est pas la notre, nous avons travaillé depuis la mémoire française.
    A.C. : Nous ne nous sommes pas senties légitimes de parler de certains sujets, qui concernent davantage l’histoire algérienne. La pièce s’ancre dans l’histoire de France, étant donné qu’une immense partie de la population française est touchée directement par cette histoire, que ce soit du côté des descendants de soldats envoyés en Algérie, des militaires de métier, des pieds-noirs arrivés en 1962, des descendants de juifs algériens, des enfants de harkis qui ont réussi à fuir ou des Algériens qui ont immigré en France depuis le début du xxe siècle et massivement dans les années 1960-1970. La question de la marginalisation des populations immigrées dans la France d’aujourd’hui est un problème de société majeur, qui trouve son ancrage dans les réalités historiques du passé colonial. Il existe un racisme d’état qui se structure sur des non-dits et donne lieu à des discours politiques d’exclusion. Si dans la pièce tous les points de vue ne se valent pas, nous ne jugeons pas les individus, nous jugeons l’état et les politiques.
    M. E. : Nous voulons faire notre part du travail de reconnaissance sur la responsabilité du passé colonial d’un pays qui en porte encore les stigmates, et exprimer le besoin de réparation. Nous partons de l’Histoire algérienne, mais finissons par parler de toutes les immigrations, de la difficulté d’intégration des différentes générations, des échecs de la transmission. Pour comprendre ces problèmes, il faut remonter à la source et donc remonter dans l’Histoire.

    Les narrations chorales s’entrecroisent dans le spectacle. Pourquoi avoir choisi un langage à plusieurs voix et comment avez-vous réparti les rôles entre les sept comédiens ?

    A.C. : Le postulat, dès le premier volet, était de ne pas constituer une distribution réaliste, avec l’idée forte que chaque comédien puisse tout jouer, qu’il soit homme, femme, racisé ou non…
    M. E. : Chaque comédien a un parcours principal, une trajectoire qui porte son témoignage, mais endosse aussi d’autres rôles dans certaines scènes et incarne des opinions parfois totalement opposées.
    A.C. : C’est une manière de réfléchir à comment on se retrouve d’un côté ou de l’autre de l’Histoire. En suivant les parcours de chaque comédien qui passe simultanément d’un camp à l’autre du conflit, on tente de se situer dans une lecture non manichéenne de l’histoire. Cela montre la complexité des événements et donne à entendre le questionnement qui anime chaque personnage dans sa nécessité de se situer par rapport à l’histoire en cours. Il ne s’agit pas ici de tout excuser bien sûr, mais de montrer comment se structurent les points de vue et les mémoires.
    M. E. : La forme du spectacle a été trouvée grâce à nos recherches avec les comédiens. Sept points de vue ont alors émergé. Il est devenu évident que chaque comédien allait porter un point de vue. Il était aussi très important pour nous d’observer que la parole du pied-noir ne se comprend qu’avec la parole du FLN, celle de celui qui a rejoint l’OAS ne se comprend qu’avec la parole du harki et que toutes ces mémoires ensemble constituent le spectre mémoriel de la guerre d’Algérie. Nous sommes dans le mouvement intime de la pensée qui n’est pas associé au sexe, à la couleur, ni à l’origine ou la religion, mais lié à notre humanité. Les personnages écrits avec les acteurs, tendus entre témoignages réels et fiction se veulent porteurs de ces contradictions, de ces cas de conscience.

    Théâtre de mots mais aussi très physique, la pièce utilise avec subtilité les sons, la musique et la vidéo. Comment la scénographie s’est-elle construite autour de ces différents éléments ?

    M. E. : Nous travaillons sur la brèche de l’intime, essayant de trouver l’endroit de l’émotion sans tomber dans le pathos. Le son et la musique (créés par Jonathan Martin) révèlent ce que les mots ne peuvent pas dire, ils ouvrent une autre dimension, une autre poétique au plateau. Le travail sonore sur les archives pour retrouver les voix, les sons et les images de cette période rend compte d’une chronologie qui dit autrement que par le texte le grand mouvement de l’Histoire.
    A.C. : Le sujet du spectacle est dense, avec un lourd matériau historique et politique, mais nous voulions qu’il soit vivant et théâtral. Un spectacle qui emporte, avec des acteurs très investis physiquement.
    M. E. : L’incarnation passe par le corps des acteurs, le corps de jeunes soldats frustrés et plongés dans un univers de violence, le corps torturé, le corps de l’immigré cassé par le travail en usine… La scénographie doit ensuite répondre à ce jeu très physique des acteurs, il faut trouver le bon équilibre.
    A.C. : La contrainte scénographique était d’avoir un espace qui aille de 1954 à 2006, en France et en Algérie. Nous voulions évoquer l’Algérie sans âtre illustratif, anecdotique ni exotique. Il fallait que l’on retrouve un certain réalisme et concevoir des stratifications de l’espace pour répondre à l’opacité de la mémoire. La lumière est aussi extrêmement importante. Elle donne les grandes indications scéniques. Alors que les costumes prennent en charge la temporalité et le déroulé chronologique, la lumière en pose la géographie, les lieux. La scénographe Julie Boillot-Savarin a travaillé main dans la main avec l’éclairagiste Mariam Rency et la costumière Sarah Lazaro.

    Il y a beaucoup de moments d’émotion mais de l’humour aussi dans la pièce. Cela peut-il apaiser ou apporter une forme de réconciliation, de résilience ?

    A.C. : Le rire est né en quelque sorte de lui-même, nous ne l’avons pas cherché, les comédiens le laissant venir sans forcer les choses. L’humour ne doit pas prendre le pas sur la souffrance, il n’est pas question de se moquer.
    C’est un subtil dosage et un équilibre global à trouver. Ce qui s’est révélé assez rapidement c’est que le tragique et le comique sont liés dans la pièce comme dans la vie. Le rire peut arriver au sein même des souvenirs les plus traumatisants.
    M. E. : Cet assemblage entre le tragique et le comique, le fait que l’un ait besoin de l’autre pour se révéler, est une des grandes philosophies des spectacles que nous créons. Ce rire est libérateur parce qu’il y a, avant ou après, une tragédie. Il est dans la catharsis…
    A.C. et M. E. : … et dans l’humanité.

    Propos recueillis par Malika Baaziz, octobre 2019

    Lexique

    Les soldats du FLN, appelés  » Moudjahidine  » ou  » fellagas  » par les Français
    Le Front de Libération Nationale est le mouvement qui s’est revendiqué seul porteur de la lutte pour l’Indépendance en 1954, en ouvrant le feu avec plusieurs attentats pendant la  » Toussaint rouge « . Il élimine l’autre parti, père de la pensée de l’indépendance, appelé MNA (Mouvement nationaliste algérien) et dirigé par Messali Hadj. Celui-ci est considéré comme trop pacifiste et trop vieux par le FLN qui choisit la violence radicale. Au départ, aucun membre du FLN n’avait plus de 26 ou 27 ans. Le FLN recouvre six sections appelées  » wilayas « , régions algériennes, qui étaient chacune dirigées par un leader différent. Certains soldats rejoignent les maquis et cherchent à prendre par surprise l’armée française en se cachant dans des recoins des montagnes. Pour cette raison, les Français ont l’impression d’être face à un ennemi sans visage, invisible, qu’ils ne parviennent pas à identifier.

    La branche française du FLN a été très active pendant la guerre d’Algérie, contribuant au réseau d’information concernant des attentats à Paris, en libérant des prisonniers, en faisant passer des armes. Les liens entre le FLN en France et en Algérie ont été importants. Cependant, à la libération, les membres de la section française ont été écartés des postes de pouvoir du gouvernement du nouveau régime algérien.

    Les Pieds-noirs
    C’est par ce terme qu’on désigne les Européens qui vivaient en Algérie. La plupart étaient d’origine française et avaient rejoint l’Algérie suite à la colonisation. La plupart étaient de condition assez modeste (commerçants, artisans), ils avaient des droits supérieurs aux Algériens mais n’étaient pas aussi riches qu’on peut l’imaginer. Mais ce terme recouvre aussi souvent les Juifs algériens dits aussi Juifs pieds-noirs qui étaient en Algérie bien avant 1830. Ces Juifs d’Algérie ont été naturalisés français suite au décret Crémieux de 1870, mais beaucoup parlaient arabe, leur langue d’origine.

    Les Harkis sont des soldats musulmans qui se sont battus du côté de la France pendant la guerre d’Algérie. Les raisons pour lesquelles ils rejoignent la France sont très diverses. Certains sont tentés de le faire pour échapper à la misère et toucher une pension, d’autres fuient les massacres et ont peur de sanctions de la France car ils ne croient pas à l’indépendance, d’autres encore sont forcés à rejoindre la France à la suite de violences ou de tortures, enfin, certains le font par conviction, notamment si certains membres de leurs familles ont déjà servi la France en 1914-1918 et en 1939-1945 parmi les soldats indigènes dits aussi  » tirailleurs  » de l’armée française.

    Les appelés sont les soldats envoyés en Algérie pour  » pacifier  » comme on disait à l’époque, se battre contre le FLN. Ils sont souvent très jeunes et envoyés dans le cadre de leur service militaire, leur présence est au départ de vingt-quatre mois. Mais à partir de 1956, quand les combats s’intensifient, on envoie à nouveau des soldats qui étaient rentrés en France, prolongeant ainsi leur mobilisation, on les appelle alors  » les rappelés « . L’envoi de troupes françaises est alors massif. Parmi les appelés, quelques rares jeunes hommes décident de ne pas se battre et de déclarer leur volonté de ne pas se battre : certains vont en prison suite à leur refus de servir l’armée, on les appelle les  » insoumis « , d’autres choisissent de fuir l’armée une fois engagés, on les appelle les  » déserteurs « .

    L’OAS
    L’Organisation Armée Secrète est une organisation clandestine fondée en février 1961 pour défendre l’Algérie française. Son action passe par tous les moyens (y compris le terrorisme, des attentats en France et en Algérie contre des populations algériennes et des figures clés de l’indépendance tels que le général de Gaulle, Jean-Paul Sartre, André Malraux). Elle est fondée par deux activistes importants qui sont réfugiés à Madrid, Jean- Jacques Susini et Pierre Lagaillarde, et rallie aussi des militaires défenseurs de l’Algérie française tel que Raoul Salan. Les populations européennes s’en rapprochent parfois, désespérées de devoir quitter leurs terres, pour trouver un soutien. L’action de l’OAS dure pendant les premières années de l’indépendance, il s’agit de la politique de la  » terre brûlée « , plus rien à perdre, on ne laissera rien de l’Algérie.

    Les porteurs.ses de valises ou militant.e.s français en métropole
    Des réseaux de soutien au FLN s’organisent en France. Le plus connu est appelé réseau Jeanson, qui fait passer de l’argent au FLN pour le soutenir, on a appelé ces militants  » porteurs de valises « . Ce réseau est démantelé en 1958 et le réseau Jeanson est condamné. Certains militants rejoignent alors un autre réseau anticolonialiste appelé réseau Curiel. Les militants qui décident de rejoindre l’Algérie après 1962 pour participer à la reconstruction du pays sont appelés  » Pieds-rouges « .

    Autour du spectacle

    DIMANCHE 4 OCTOBRE
    → Rencontre avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation

    NAVETTES RETOUR
    La navette retour vers Paris
    Tous les soirs, une navette est mise en place à l’issue de la représentation, dans la limite des places disponibles.
    Elle dessert les arrêts :
    Porte de Paris, La Plaine Saint-Denis, Porte de la Chapelle, La Chapelle, Stalingrad, Gare du Nord, R.publique, Châtelet.
    Tarif : 2 €.
    Réservation à la billetterie avant le spectacle.

    La navette dionysienne
    Le jeudi et le samedi soir, si vous habitez à Saint-Denis, une navette gratuite vous reconduit dans votre quartier.
    Merci de réserver au 01 48 13 70 00 ou à la billetterie avant le spectacle.

    LE RESTAURANT  » CUISINE CLUB « 
    est ouvert une heure avant et après la représentation et tous les midis en semaine.

    Réservation conseillée : 01 48 13 70 05.

    LA LIBRAIRIE DU THÉÂTRE
    est ouverte avant et après les représentations. Le choix des livres est assuré par la librairie Folies d’Encre de Saint-Denis.

    Spectacle(s) lié(s)

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